Image  Robin de Benedittis, avocat, et Marilyn Favier, avocat associé, cabinet Fromont Briens

Refondation du Code du travail : de nouveaux coups de chaleur annoncés pour l’été

Social - IRP et relations collectives, Formation, emploi et restructurations
18/05/2017
 « Température : 49°3, donne la migraine à tous ceux qui essaient de le comprendre. Une seule solution : une cure sur ordonnances du Dr M…… avec chute de température assurée à 38°. »
Le candidat d’En Marche !, fraîchement élu Président de la République, a fait du droit du travail un élément central de son projet présidentiel, avec la volonté affichée d’aller plus loin que les réformes sociales auxquelles il a participé lors du quinquennat précédent.
C’est précisément un renforcement des dispositions des lois « Macron », « Rebsamen » et « El Khomri » auquel entend procéder, au plus tôt, le président de la République, par voie d’ordonnances.
Outil constitutionnel privilégié pour légiférer de manière accélérée, l’ordonnance permet d’éviter la navette parlementaire source de longs mois de discussions et de « déformation » du texte initial par de nombreux amendements.
Reportant les réformes structurelles de l’assurance-chômage, des retraites et de la formation professionnelle pour l’année 2018, Emmanuel Macron entend focaliser son action à court terme sur trois principaux sujets : la négociation collective au plus près de l’entreprise, le regroupement des instances représentatives du personnel et le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.


1.    La voie d’administration : l’ordonnance

La méthode n’est pas nouvelle : au lendemain de son élection en mai 1981, François Mitterrand, auquel le nouveau Président élu rendait un hommage appuyé le soir de sa victoire, avait utilisé la voie de l’ordonnance pour modifier rapidement et durablement le droit du travail, par les « lois Auroux » en 1982 (durée et aménagement du temps de travail, représentation du personnel, droit d’expression directe et collective, etc).
Prévues par l’article 38 de la Constitution, les ordonnances permettent au gouvernement d’accélérer considérablement le processus législatif pour exécuter son programme, sans toutefois occulter totalement le Parlement, seul détenteur du pouvoir législatif.

Pour mettre en œuvre le projet de simplification du code du travail, le gouvernement formé par Emmanuel Macron devra, en premier lieu, solliciter du Parlement qu’il l’autorise, par une loi d’habilitation à légiférer dans son domaine de compétence. Cette habilitation encadrera à la fois le domaine de l’ordonnance et le délai dont disposera le gouvernement pour présenter un projet de loi de ratification.
Une fois le projet d’ordonnance élaboré, celui-ci devra être soumis pour avis au Conseil d’État. Après son adoption en Conseil des ministres, l’ordonnance entrera en vigueur à compter de sa publication. Elle deviendra néanmoins caduque si un projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement, avant la date fixée par la loi d’habilitation.

Le calendrier de l’action gouvernementale en la matière est d’ores et déjà fixé :
- la loi d’habilitation à légiférer serait prévue pour l’été,
- la ratification de/des ordonnance(s) par le Parlement est espérée à l’automne.

A défaut de ratification, le projet pourrait être déposé selon la procédure normale devant le Parlement, ce qui représenterait une perte de temps considérable, pour un résultat final aléatoire.
Le résultat des élections législatives en juin prochain est donc déterminant.
Notons également, s’agissant d’une réforme portant largement sur les relations collectives, que l’article 1er du code du travail issu de la loi Larcher du 31 janvier 2007, prévoit une concertation préalable avec les partenaires sociaux au niveau national et interprofessionnel.
Il ne serait pas étonnant que soit réservé à cette concertation le même destin que celle initiée sur le projet de loi « El Khomri » : les partenaires sociaux, pourtant invités, avaient purement et simplement refusé de se rendre à la table des négociations.
De surcroît, le caractère obligatoire de cette concertation n’est pas évident. Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré, dans une décision n°2013-684DC du 29 décembre 2013, « qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’obligent le Premier ministre à faire précéder d’une négociation entre les partenaires sociaux la présentation au Conseil d’Etat, au Conseil des ministres et au Parlement d’un projet de loi comportant des dispositions touchant aux principes fondamentaux du droit du travail. »


2.    Le traitement : les mesures sociales phares envisagées par le Président Macron

La réforme la plus urgente du code du travail selon Emmanuel Macron s’articule autour de trois thèmes :
-    l’approfondissement de la mutation du droit de la négociation collective initié par la loi « El Khomri »,
-    l’élargissement du regroupement des instances représentatives du personnel transformé récemment par la loi « Rebsamen »,
-    le plafonnement des dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

2.1.    L’accord d’entreprise, norme reine du droit du travail

Véritable cœur de son projet présidentiel, le Président de la République entend faire de l’accord d’entreprise la norme privilégiée en droit du travail, en ce qu’il est, selon lui, plus adapté aux attentes réelles des entreprises.
Ce faisant, il s’inscrit dans une tendance initiée par la loi du 4 mai 2004 accentuée par la loi du 20 août 2008, laquelle fait primer l’accord d’entreprise sur l’accord de branche dans près de 20 domaines en matière de durée du travail.
La loi El Khomri du 8 août 2016 a, quant à elle, poussé plus loin cette logique en érigeant la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche dans plus de 40 domaines, en matière de durée et aménagement du temps de travail, aux congés et aux repos. Elle a, dans ces domaines, instauré un triptyque : ordre public légal auquel il ne peut être dérogé ; norme conventionnelle où l’accord d’entreprise prime sur la branche ; à défaut, règles légales supplétives.
Emmanuel Macron envisage d’élargir encore le champ de la négociation d’entreprise, prévalant sur la négociation de branche, tout en délimitant un socle légal ou règlementaire auquel il ne saurait être dérogé, telles que la durée légale du travail, les salaires minima, ou encore l’égalité professionnelle. Quant à savoir si l’organisation en triptyque issue de la loi du 8 août 2016 sera reproduite, cela reste inconnu pour l’heure.
Les règles relatives à la signature des accords d’entreprise issues de la loi du 8 août 2016 ne devraient, quant à elles, pas être remises en cause. Devrait néanmoins s’y ajouter la possibilité, pour l’employeur, de recourir au référendum alors qu’elle est aujourd’hui réservée aux syndicats qui représentent moins de 50 %.

2.2.    Le regroupement des instances représentatives du personnel

En la matière, Emmanuel Macron envisage d’approfondir considérablement le mouvement initié par la loi Rebsamen du 17 août 2015, visant à ouvrir davantage, au sein de l’entreprise, la mise en place d’une instance unique du personnel exerçant les attributions des actuels délégués du personnel, des membres du comité d’entreprise et du CHSCT.
Il envisage purement et simplement de faire de l’instance unique la norme. Ce n’est que par exception qu’un accord d’entreprise pourrait maintenir les instances existantes ou en créer de nouvelles.
D’aucuns pourront opposer la difficulté, pour les salariés exerçant un tel mandat élargi, de traiter l’ensemble des sujets relevant des compétences de chaque instance. Quels seront les nouveaux moyens accordés (crédits d’heures, budgets, formation des élus renforcée) ?
De même, dans un contexte d’entreprises où cohabitent plusieurs syndicats, la tâche de l’employeur n’en sera pas nécessairement facilitée car aujourd’hui, les majorités syndicales peuvent être différentes selon les instances ce qui peut faciliter le dialogue avec telle ou telle instance. Dans une instance regroupée, cela ne sera plus le cas.

2.3.    Le plafonnement des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Véritable cheval de bataille d’Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre, ce plafonnement permettrait, selon lui, de donner davantage de visibilité aux entreprises sur les éventuels risques que comporte le licenciement d’un salarié, qui constitue un frein à l’embauche définitive notamment dans les petites et moyennes entreprises.
D’abord présent dans la loi Macron du 6 août 2015, ce plafonnement a été retoqué par le Conseil constitutionnel au motif que le barème utilisait un critère allant à l’encontre du principe d’égalité devant la loi, à savoir celui de la taille de l’entreprise, pourtant déjà présent dans le code actuel, pour déterminer le plancher minimal d’indemnisation.
Un décret du 23 novembre 2016 a donc introduit un barème sans aucune référence à l’effectif de l’entreprise, sous forme de référentiel indicatif pour le juge, en fonction de l’ancienneté dans l’entreprise, de l’âge du salarié et des difficultés particulières de retour à l’emploi.
Si les critères du plafonnement des dommages et intérêts sont encore à déterminer, leur constitutionnalité sera sans doute passée au crible.
Enfin, il est à craindre que les défenseurs de salariés développent d’autres contentieux pour obtenir au-delà du plafonnement légal, des dommages et intérêts sur d’autres fondements. Le développement du contentieux sur l’exécution déloyale du contrat de travail, le licenciement vexatoire, la discrimination, l’inégalité de traitement en témoigne déjà.

Un vent nouveau souffle sur le droit du travail, ce dont on peut se féliciter au regard des nouveaux enjeux sociaux-économiques, du besoin d’agilité qu’expriment les chefs d’entreprise, de la nécessité, pour tous les acteurs, de mieux comprendre la règle de droit.
La mise en œuvre de tels projets reste toutefois suspendue à la future majorité parlementaire qui demeure encore inconnue et aux mouvements sociaux qui pourraient bien…. faire remonter la température. L’été s’annonce chaud.

Par Marilyn Favier, avocat associé, et Robin de Benedittis, avocat, cabinet Fromont Briens


 
Source : Actualités du droit