Image  Léonie Chabaud,  juriste en droit social européen, et Nicolas Chavrier, avocat associé, cabinet Fromont Briens

Report du congé annuel payé, la dualité juridictionnelle a encore frappé !

Social - Contrat de travail et relations individuelles
13/10/2017
Léonie Chabaud, juriste en droit social européen, et Nicolas Chavrier, avocat associé, du cabinet Fromont Briens reviennent sur l'arrêt du 21 septembre dernier de la Cour de cassation portant sur la perte de congés payés non pris pour cause de maladie à la RATP, ainsi que sur la position du conseil d'Etat dans une affaire similaire dans la fonction publique territoriale.
Le principe du droit au congé annuel payé est des plus simples, selon l’article 7 de la directive 2003/88/CE « 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ».
Son application cependant révèle quelques subtilités et a conduit à une jurisprudence abondante tant en droit de l’Union européenne qu’en droit interne.
Le droit au congé annuel payé est très encadré par la Cour de justice qui a, à plusieurs reprises, rappelé sa finalité et son importance. Ce droit, consacré par l’article 7§1 de la directive 2003/88 et par l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, est, selon les termes employés par la Cour de justice d l’Union européenne, « un principe du droit social de l’Union revêtant une importance particulière »[1].
Tout en énonçant strictement les modalités d’application de l’article 7 aux fins d’en garantir l’effectivité, la Cour a, toutefois laissé une marge de manœuvre aux Etats membres de l’Union européenne, notamment en ce qui concerne les modalités de report du congé annuel payé.
Le droit interne français, bien que globalement protecteur du travailleur, comporte de nombreuses lacunes en matière de congés payés notamment sur la question du report.
A ce titre, la Cour de cassation a plusieurs fois, dans ses rapports annuels suggéré une mise en conformité du droit français par le législateur, ces appels sont, pour le moment, restés sans réponses malgré les très nombreuses réformes.
Le 21 septembre 2017, la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer spécifiquement sur le droit au report du congé annuel payé[2], soulignant explicitement les insuffisances du droit interne français sur ce point.
On notera que cette décision n’est nullement isolée puisque le Conseil d’Etat a rendu un avis le 26 avril 2017 sur cette même question s’agissant des fonctionnaires de l’Etat[3]. Il s’est également prononcé sur ce point dans une décision du 14 juin 2017[4] relativement aux agents de la ville de Paris. On en retiendra alors que Conseil d’Etat et Cour de cassation, tout en appliquant les mêmes fondements juridiques, adoptent des solutions divergentes.


Une décision nuancée de la Cour de cassation

La question portait sur la perte des congés payés non pris pour cause de maladie.
Le statut des agents de la RATP prévoit que les congés non pris pour cause de maladie peuvent être reportés sur l’année suivante[5], dans la limite de douze mois.
Afin de déterminer la validité des dispositions en cause, la Cour de cassation s’est évidemment fondée sur la directive 2003/88 mais aussi, et surtout, sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne qui, dans le silence de la directive, a consacré un droit au report, d’une part, et une possible limitation de ce droit au report, d’autre part.
Ainsi, la Cour de justice a énoncé qu’une période de report de neuf mois au-delà de la période de référence en cause est contraire aux prescriptions de l’article 7 car elle ne dépasse pas substantiellement ladite période de référence[6]. La Cour de justice retient par ailleurs que ne peut être considérée comme substantielle une période de report inférieure à la période de référence à laquelle elle se rattache. Il semble, donc,  être acquis que la période de report doit être supérieure à la période de prise et d’acquisition des congés.
 Dans ce cadre, une période de report de quinze mois a été considérée comme conforme à ce même article 7[7].
La Cour de cassation, aux fins d’appréciation des dispositions internes et européennes, relève que le droit français, à savoir le Code du travail, ne prévoit aucun délai, aucune limite au report.
Elle retient, de plus, que la directive n’impose pas de fixer une limite au report mais le permet seulement et que la validité d’une telle limite ne vaut que si la période de report dépasse substantiellement la période de référence.
Dès lors la Cour de cassation estime qu’un report de douze mois, ne dépasse pas substantiellement la période de référence qui est elle aussi de douze mois.
La Cour de cassation va, de fait, écarter, purement et simplement, les articles du statut des agents de la RATP limitant le droit au report à douze mois et, face au silence du législateur, se refuser à limiter, elle-même, le droit au report à quinze mois.
Il nous semble comprendre, que la Cour de cassation aurait validé une période de report de quinze mois ou plus, laissant ainsi la porte ouverte aux accords collectifs et autres conventions concernant les modalités du droit au report.
Pour autant, la Cour de cassation n’entend pas appliquer la directive, y compris à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice, par le biais d’une interprétation conforme en l’absence totale d’accord collectif portant sur la question.
Or, en se fondant sur les mêmes textes et mêmes jurisprudences européennes, le Conseil d’Etat en est venu, lui, à fixer une limite de quinze mois au droit au report.

Une position innovante du Conseil d’Etat ?

Dans une décision du 14 juin 2017[8] relative à la question des congés non pris en raison d’une maladie par un fonctionnaire territorial, le Conseil d’Etat a, à l’inverse de la Cour de cassation, retenu qu’une autorité territoriale, en l’espèce la ville de Paris, peut rejeter cette demande lorsqu’elle est présentée plus de quinze mois après la période de référence en cause.
Cette décision fait écho à l’avis du Conseil rendu le 26 avril 2017[9] portant sur une disposition du décret n°84-972 du 26 octobre 1984 relatif aux congés des fonctionnaires de l’Etat. Ce décret, comme celui de 1985[10], en cause dans la décision du 14 juin, ne prévoit aucun report des congés non pris, y compris pour cause de maladie! Il n’est donc même pas question d’une période de report trop courte, cette possibilité n’existe pas !
Le Conseil d’Etat, suivant les conclusions de son rapporteur public[11], reprend  de nombreux arguments de la Cour de justice pour justifier la limite du droit au report.
En premier lieu, il constate que le droit au congé annuel payé doit garantir au travailleur une période de repos, de détente et de loisir. En second lieu, il retient que la Cour de justice a bien consacré un droit au report dudit congé et enfin que le droit de l’Union européenne permet de limiter dans le temps ce droit.
Dès lors, à l’instar de la Cour de justice[12], le Conseil d’Etat énonce qu’un travailleur en incapacité de travailler pendant plusieurs années ne devrait pas pouvoir cumuler de manière illimitée des droits à congé[13] en ce que, dans ce cas précis, le droit au congé annuel payé perd sa finalité première : assurer une période de repos et de loisir après une période de travail. Cette énonciation sera d’ailleurs le fondement de la limitation du droit au report.
Le Conseil retient que le décret n°85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux [14] est contraire aux dispositions de la directive 2003/88/CE en ce qu’il ne permet pas le report des congés non pris pour cause de maladie. Il ne permet pas le report tout court d’ailleurs sauf autorisation exceptionnelle. Il convient dès lors d’écarter les dispositions contraires et de considérer que le report est ouvert en cas de maladie du travailleur.
En revanche, par le biais de l’interprétation conforme[15], il retient que ce même décret peut servir de fondement à une limitation de la période de report à quinze mois.
C’est exactement le sens des conclusions du rapporteur public dans cette affaire, Vincent Daumas[16].
En effet, ce dernier se fonde sur l’invocabilité d’exclusion pour écarter les dispositions du décret contraires à la directive puis sur l’interprétation conforme desdites dispositions pour justifier d’une limitation du droit au report à quinze mois. Il énonce que ces dispositions peuvent être interprétées comme n’autorisant le report qu’en cas de maladie et dans la limite de quinze mois suivant la naissance du droit au congé.
Une telle position est justifiée, notamment, par la volonté d’éviter les vides juridiques qu’entraine l’invocabilité d’exclusion et qui ont conduit dans l’affaire présentée à la Cour de cassation à accorder un droit au report illimité aux agents de la RATP.
Cela permet également de pallier l’absence d’initiative réglementaire ou législative en ce domaine.
On notera également que cette interprétation ne conduit nullement à une interprétation contra legem des dispositions, puisque celles-ci sont inexistantes.
Les positions des deux juridictions suprêmes se contredisent à quelques semaines d’intervalle seulement.
On ne peut qu’espérer une intervention législative prochaine afin de clarifier les règles de report puisque la Cour de cassation ne semble pas prête à prendre le relais, à l’inverse du Conseil d’Etat.
Il reste que la Cour de cassation ne semble pas exclure irrémédiablement toute possibilité de limiter le report mais s’en tient au cadre conventionnel qui le prévoirait, le cas échéant.
En effet, elle justifie en partie sa décision par le fait que la période de report n’est que de douze mois, or elle considère que cela ne dépasse pas substantiellement la période de référence comme le préconise la Cour de justice[17]. Il en ressort qu’elle pourrait donc valider un accord collectif ou une convention instaurant un droit au report dans une période de quinze mois suivant la période de référence.

Léonie Chabaud,  juriste en droit social européen, et Nicolas Chavrier, avocat associé, cabinet Fromont Briens
 
 
[1] CJCE, 26 juin 2001, aff. C-173/99, BECTU, pt 43. – CJCE, 18 mars 2004, aff. C-342/01, Merino Gómez, pt 29. – CJCE, 16 mars 2006, aff. C-131/04 et C-257/04, Robinson-Steele e.a., pt 48. – CJCE, 20 janv. 2009, Schultz-Hoff e.a., aff. C-350/06 et C-320/06, pt 22. – CJCE, 10 sept. 2009, aff. C-277/08, Vicente Pereda, pt 18. – CJUE, 21 juin 2012, aff. C-78/11, ANGED, pt 16.
[2] Cass, soc, 21 septembre 2017, n°16-24.022.
[3] CE, 26 avril 2017, Avis n°406009.
[4] CE, 3e et 8e ch., 14 juin 2017, n°391 131.
[5] Articles 58 et 71 du statut.
[6] CJUE, 3 mai 2012, Neidel, C-337/13, points 38 à 43.
[7] CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10
[8] CE, 3e et 8e ch., 14 juin 2017, n°391 131.
[9] CE, 26 avril 2017, Avis n°406009 : il s’agit d’un avis rendu sur demande expresse de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 15 décembre 2016, n° 1BX03684). La RATP s’en était d’ailleurs prévalue devant la Cour de cassation sans que cela n’emporte la conviction de la juridiction suprême de l’ordre judiciaire. Pourtant, l’avis énonçait clairement en son point 3 « En l’absence de dispositions législatives ou réglementaires fixant ainsi une période de report des congés payés qu’un agent s’est trouvé, du fait d’un congé maladie, dans l’impossibilité de prendre au cours d’une année civile donnée, le juge peut en principe considérer, afin d’assurer le respect des dispositions de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, que ces congés peuvent être pris au cours d’une période de quinze mois après le terme de cette année ».
[10] Décret n°85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux
[11] Conclusion du rapporteur public Vincent Daumas, n°391 131.
[12] CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10, points 29 et 30
[13] Conclusions KHS, 7 juillet 2011, C-214/10, point 70 et CJUE, 22 novembre 2011, KHS, C-214/10.
[14] Décret n°85-1250 du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux, article 5 : « Sous réserve des dispositions de l'article précédent, le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale.
[15] Il s’agit d’interpréter le droit national à la lumière des dispositions de la directive et de la jurisprudence de la Cour de justice.
[16] Conclusion du rapporteur public Vincent Daumas, n°391 131.
[17] Il sera noté que la Cour de justice a jugé que neuf mois est une période trop courte, qu’une période de quinze mois est compatible avec les dispositions de la directive 2003/88/CE mais qu’elle n’a donné aucune indication concernant des périodes intermédiaires telle que 12 mois.
Source : Actualités du droit