Image  La Cour de cassation a procèdé à un revirement de jurisprudence en matière de harcèlement moral

Harcèlement moral : l’employeur peut s’exonérer de sa responsabilité

Social - Santé, sécurité et temps de travail, Fonction rh et grh
03/06/2016
Dans un arrêt du 1er juin 2016 , la Cour de cassation procède à un revirement de jurisprudence en permettant dorénavant à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité lorsqu’une situation de harcèlement moral se produit dans l’entreprise.
En novembre 2015, dans un arrêt Air France, la chambre sociale de la Cour de cassation avait considérablement assoupli sa jurisprudence sur l’obligation de sécurité de résultat en permettant à l’employeur, en cas d’atteinte à la santé d’un salarié (en l’occurrence, un syndrome dépressif), de s’exonérer de sa responsabilité en démontrant avoir pris les mesures de prévention nécessaires et adaptées pour éviter que le dommage ne se réalise (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444 FP-PBRI). On pouvait dès lors sérieusement douter du maintien de la jurisprudence spécifique au harcèlement moral, laquelle, au nom de l’obligation de sécurité de résultat, rendait l’employeur systématiquement responsable des agissements commis par l’un de ses salariés, peu important qu’il y ait mis un terme en sanctionnant le harceleur ou qu’il n’ait commis lui-même aucune faute.
Dans l'arrêt du 1er juin, la Haute cour a clairement remis en cause cette jurisprudence : l’employeur n’est plus considéré comme fautif s’il a respecté son obligation légale de prévention et s’il a, immédiatement et de manière effective, fait cesser les agissements.

Action en résiliation judiciaire et en indemnisation pour harcèlement moral

Dans cette affaire, un salarié, estimant subir un harcèlement moral de la part de son supérieur hiérarchique, avait introduit une action en vue d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, ainsi que des dommages-intérêts au titre du harcèlement. Bien que l’employeur ait réagi aux agissements dès leur signalement (enquête interne, réunions de médiation entre les protagonistes), cette action avait toutes les chances de prospérer. En effet, depuis 2006, la jurisprudence considère que la protection des salariés contre le harcèlement fait partie intégrante de l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur, de sorte que l’employeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en invoquant l’absence de faute de sa part (Cass. soc., 29 juin 2006, n° 05-43.914). Depuis, la Cour de cassation n’a pas manqué de rappeler, très régulièrement, que l’employeur manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, « quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » ( Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019 ; Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69444 ; Cass. soc., 19 novembre 2014, n° 13-17.729).

Cette solution était critiquée, côté employeurs, car contre-productive : l’employeur étant, quoi qu’il arrive, considéré comme responsable, à quoi bon prendre des mesures de prévention en matière de harcèlement ? À l’occasion de ce pourvoi, la Cour de cassation change précisément d’approche et redonne tout son intérêt à l’obligation de prévention.

Exonération possible

Dans son arrêt du 1er juin 2016, la Haute juridiction pose dorénavant pour principe que « ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser ».

Cette décision ne fait qu’étendre au harcèlement, en l’adaptant, la formule retenue dans l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 (« ne méconnaît pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail »).
À l’avenir, le juge devra donc tenir compte des diligences accomplies par l’employeur, avant et après le signalement des agissements, pour déterminer s’il est fautif ou non.

Conditions d'exonérations

Plus précisément, selon l’arrêt, pour s’exonérer de sa responsabilité, l’employeur devra réunir cumulativement deux conditions :
– dès l’instant où il a été informé de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, il doit prendre les mesures immédiates propres à les faire cesser. Dans son communiqué joint à l’arrêt, la Cour de cassation précise même que l’employeur doit l’avoir « fait cesser effectivement ». Mais cette « circonstance nécessaire », qui était remplie en l’espèce, n’est pas suffisante à elle seule ;
– l’employeur doit aussi pouvoir justifier avoir pris, antérieurement, toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 (actions de prévention des risques professionnels, d’information et de formation, mise en place d’une organisation et de moyens adaptés) et L. 4121-2 (principes généraux de prévention) du Code du travail.

C’est donc sur la mise en œuvre effective d’actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral, que se dénoueront les contentieux en responsabilité. En l’espèce, l’employeur justifiait simplement de l’existence d’une procédure d’alerte inscrite au règlement intérieur, mais pas d’actions de formation et d’informations des salariés. La Cour de cassation a donc censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Douai ayant refusé d’imputer le harcèlement moral à l’employeur.

Cas de violences entre salariés

On pourrait logiquement s’attendre à la même évolution de jurisprudence en cas de violences entre deux salariés. Dans une telle situation, la Cour de cassation a en effet toujours appliqué le même raisonnement qu’en matière de harcèlement, retenant systématiquement la responsabilité de l’employeur (Cass. soc., 23 janvier 2013, n° 11-18.855 FS-PB ). Cependant, le 26 mai dernier, la Haute juridiction a appliqué sa jurisprudence habituelle, réaffirmant ainsi que « l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu’un de ses salariés est victime sur le lieu de travail de violences physiques exercées par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements » (Cass. soc., 26 mai 2016, n° 14-15.566 F-D ). Changera-t-elle de point de vue après l’arrêt du 1er juin 2016 ? Affaire à suivre…

Liaisons Sociales Quotidien
Source : Actualités du droit